Les DGSD, nouveaux fossoyeurs du travail social ?

Publié le par riposte2010

Quelques directeurs généraux des services départementaux ont commis un texte à l'encontre du travail social, édifiant. Ci jointe la réponse faite dans le cadre de la commission sociale inter-fédérale SUD santé/sociaux et SUD CT.


Dans ce texte, les DGSD révèlent leur stratégie : s’attaquer au travail social, encore un des seuls freins à la progression de l’idéologie libérale.
La crise, « nouveau » prétexte pour enterrer la solidarité. Les DGS ont la mémoire courte ! Dès 1982, le gouvernement de l’époque faisait le constat que les dépenses d’action sociale étaient exponentielles. Au-delà de la proximité qu’elle était censée apporter, la décentralisation de l’action sociale avait bien pour objet de mieux « maîtriser » ces dépenses. C’est à partir de 2005 que les budgets des Départements ont véritablement explosé, faute de compensations permettant d’asseoir le financement des prestations (APA, RMI) sur la solidarité nationale. La crise, qui a bon dos, n’est pas une fatalité mais le produit des choix libéraux effectués par les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, dans un contexte de mondialisation. Depuis 10 ans, nos « gestionnaires de gauche » se défaussaient sur la politique Sarkozy pour justifier leurs choix. Aujourd’hui, le PS et ses alliés détiennent quasiment tous les pouvoirs : pour quel changement ?
Un discours « réchauffé » sur l’Etat Providence. La solidarité nationale instituée par l’Etat social est une alternative à l’individualisme libéral qui prévalait. Les formes antérieures d’assistance (famille, charité) sont devenues moins indispensables car plus limitées que celles, nationales, qui les ont relayées et complétées. Et c’est bien la mise à mal de cette solidarité nationale par le néolibéralisme qui entraîne un regain d’individualisme. L’attribuer à l’Etat social, comme l’avancent les DGS, est une contre-vérité et tient d’une curieuse méconnaissance de la construction de nos institutions ! Notre modèle de protection sociale, fondé sur la socialisation du risque, date de la fin du XIXe, pas de l’après-guerre. Et ce n’est pas la croissance des Trente glorieuses qui rendait viable financièrement la protection
sociale, mais bien les cotisations sociales sur les salaires.
L’offensive sociale-libérale ne date pas d’aujourd’hui. Dès 1981, Pierre Rosanvallon, penseur successif de la CFDT, du PSU et du PS, puis du courant « la République des idées » avec le soutien financier des grandes entreprises (Altadis, Lafarge, AGF…) discourait sur « la crise de l’Etat-Providence ».
Depuis, les politiques dites « sociales » mises en œuvre ont largement contribué à mettre à mal notre système de protection sociale. Il est quand même curieux que ce qui coûte « si cher » à la collectivité soit néanmoins la proie des assureurs et des fonds de pension.
Des usagers « insuffisamment mobilisés et donc déconsidérés »
Selon les DGS, il faudrait changer le regard des travailleurs sociaux sur les usagers (ne plus les percevoir comme « victimes ») pour qu’ils puissent se mobiliser. Dans un contexte économique où la barre des 3 millions de chômeurs vient d’être officiellement franchie, il faut oser l’écrire !!! Le plaidoyer pour la prise de risque individuel prend tout son sens dans l’éloge du tournant libéral québécois. Celui-ci s’honore d’avoir « diminué d’environ 50% le nombre de ses placements en 20 ans, sur la base notamment de ce pari sur les compétences parentales ». L’étude ne précise pas si dans le même temps la maltraitance a diminué et si la situation sociale de la jeunesse s’est améliorée sur le long terme. L’égalité des chances est une machine à nous faire croire que la société offre une égale opportunité et que
nous sommes seuls responsables de notre situation.
1 DGSD : directeur général des services départementaux
2 En avril dernier, paraissait une contribution « Action sociale : boulet financier ou renouveau de la solidarité », écrite par 3 DGSD.

Mobiliser les ressources des usagers pour qu’ils accèdent à l’autonomie, c’est bien le sens du travail social. Mais celui-ci ne peut faire abstraction d’un contexte socio-économique soumis à une très forte hausse de la pauvreté qui constitue un tournant dans l’histoire sociale de notre pays depuis les années 1960. Et la responsabilité en incombe bien aux politiques qui font le choix du libéralisme, pas à ceux qui en paient tous les jours le prix fort.
Travailleurs sociaux ou gestionnaires de l’action sociale ? Tout au long du texte, les DGS entretiennent la confusion entre « action sociale » et « travail social ». Ils s’approprient le vocabulaire du social en le détournant. Des générations entières de travailleurs sociaux ont été formées à l’accompagnement social, au travail à l’autonomie des familles, à l’approche globale, au travail collectif voire communautaire. Et c’est bien l’empilement des dispositifs d’action sociale, en particulier depuis la création du RMI, qui les a cantonnés progressivement dans un rôle d’accès aux droits, dépossédés de leur capacité d’évaluation dans une approche globale des usagers et enfermés dans la mise en œuvre de procédures.
Les travailleurs sociaux seraient donc trop formés sur des « problématiques de réparation » et pas assez sur le développement social ! Quelle méconnaissance de la formation ! Pire encore, les DGS remettent en cause l’existence même des formations professionnelles des travailleurs sociaux. Sous prétexte que les Départements sont « chefs de file de l’action sociale », la formation devrait être orientée sur le fonctionnement institutionnel des départements et les finances publiques locales ! Quelle absurdité ! Les travailleurs sociaux, dans leur pluralité de formation, doivent demeurer plus que jamais fort du savoir-faire et du savoir-être qui sont indispensables à leurs professions. Le risque est d’oublier que le diplôme doit former à l’exercice d’un métier, touchant à la vie même des personnes auprès desquelles il s’exerce, et pas seulement à un cursus universitaire !
Il y a, de plus, une incohérence entre un discours de responsabilisation des usagers et le cantonnement des travailleurs sociaux à des tâches de gestionnaires de dispositifs. Remise en cause du secret professionnel : une véritable provocation. Un des reproches communément fait aux travailleurs sociaux touche au secret professionnel, à la déontologie et à l’éthique. Comme si la dimension collective du travail social était incompatible avec leur respect.
Rappelons que le secret professionnel protège la personne et non pas le professionnel comme on le laisse entendre trop souvent… Les travailleurs sociaux ne se réfugient pas derrière le secret professionnel, ils y sont astreints sauf dans les cas où la loi prévoit de le lever.
Même si cela peut leur paraître contradictoire avec les intérêts immédiats de l’usager – ou de la collectivité- il en va des libertés individuelles de laisser aux usagers la maîtrise des informations qu’ils souhaitent communiquer. C’est la base de la relation de confiance que les travailleurs sociaux instaurent. Sacro-saint management !
Pour couronner le tout, le « management » des équipes serait « trop souvent confié à un cadre issu du rang » mis en situation d’encadrer sans réel accompagnement ! La gestion « managériale » supplante progressivement celui de la recherche et de la transmission. Nous assistons à la domination managériale sur la question du social et de la professionnalisation. Les cadres intermédiaires « issus du rang », comme les travailleurs sociaux, n’ont pas besoin d’un accompagnement « managérial » mais d’une protection contre la brutalité des directives et des conditions de travail qui en découlent : l'obéissance toujours requise sans discussion, la soumission à des consignes ou à des procédures absurdes, bien souvent inapplicables (et qui demandent par conséquent de prendre sur soi pour les transgresser) et, pour finir le mépris… « En déniant les formes antérieures de savoirs et de responsabilité des professionnels, la culture managériale dominante expose en réalité tout le social organisé au risque d’une sérieuse régression intellectuelle. » M. Chauvière, 2011.

En conclusion:
Ce texte est une attaque en règle de ce qui fonde le travail social et la solidarité : une vision à l'envers de la réalité arguant que l'état social engendre l’individualisme, que l’intervention sociale dépossède l’usager de ses ressources, que la formation est basée sur des concepts obsolètes (secret professionnel, accompagnement…), bousculant au passage ceux de la solidarité, de la responsabilité, avec toujours plus de gestion comptable et de contrôle social. Il s’inscrit dans une logique que nous combattons avec force. Le texte prétend parler de la pratique des travailleurs sociaux mais fait totalement l’impasse sur ce qui fonde le travail social, en se limitant à l’action sociale.
Pour Sud, il faut revenir à un véritable travail de prévention qui implique de disposer de temps et de moyens pour analyser les situations individuelles ou collectives avant de proposer un accompagnement, une aide, un soutien, une protection. La satisfaction des procédures et des dispositifs prend le pas sur l’accompagnement des personnes, et il est grand temps d’inverser la tendance. Les travailleurs sociaux retrouveront ainsi le sens de leur métier et de leurs
missions de service public.

Publié dans Actualités nationales

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