Travail social et écriture…
Récemment une collègue, à qui j’accorde toute ma confiance sur sa capacité critique à mon égard, et sur la sincérité de ses propos, me faisait part de la réflexion suivante après une consultation de notre blog (« Riposte » bien sur !) :
« Tes articles sont intéressants, mais il n’y a que toi qui écrit ! ».
« Intéressant » peut-être…mais quant à être le « seul », je suis le premier à le regretter. Et comme je suis sans doute un indécrottable scribouillard, je ne peux m’empêcher de continuer. Après un minimum de réflexion néanmoins.
Ce rapport à l’écrit entretenu par les « sociaux » m’intéresse en fait depuis longtemps. Certes, ils écrivent, nous écrivons, une multitude de rapports, de notes évènementielles…Elles, ils, remplissent, complètent une foule d’enquêtes, de dossiers administratifs, de protocoles sur papiers…Ces écrits traduisent l’existence de méthodes, de savoir-faire divers et variés. Il y a une maîtrise de l’écrit dans un certain champ du secteur social, celui de la pratique, de la réalisation des actes quotidiens, du rendu à l’institution, à la hiérarchie, aux collègues, aux partenaires. Ces écrits sont des outils de transmission d’un « social » à un « autre » pour « parler » en quelque sorte de situations individuelles, familiales plus ou moins complexes. Il y est question de tout et de rien, de la facture EDF non réglée à la relation incestueuse. Du simple « accident » de la vie à la trame d’un drame familial. Les sociaux sont porteurs de tous cela, et ils l’écrivent avec leurs consciences professionnelles, et leur part d’humanité. Toujours le « nez dans le guidon ». Premiers témoins, premiers acteurs, d’un monde désigné essentiellement par son absence de revenu, celui des pauvres et précaires. Il y a sous leurs yeux matière à écrire, à étudier, à analyser, à extraire, à remettre en cause, à proposer, à dénoncer, à approuver, à rechercher l’hypothèse, l’objet « intellectualisé », à exporter politiquement…Alors il n’y aurait rien d’étonnant à trouver matière « littéraire » sur les pratiques professionnelles, sur le monde du « social » tout court, celui qui nous parle aussi bien des acteurs « sociaux » et du public concerné parce que désigné comme étant « l’usager ». Il serait logique, naturel, que ces écrits soient l’œuvre de ces professionnels, tout à la fois sur le terrain et dans la démarche politique (comprendre ici comme acteur de la cité, au bénéfice de la cité). Cela est réaliste car, il faut le rappeler sans doute, ces « sociaux » ont une valeur théorique, un bagage certains en guise de formation. Ils, elles, doivent tous, toutes, produirent un mémoire, un dossier…fruit d’un parcours de plusieurs années en école.
Mais la réalité est tout autre. Dès lors que l’on fait acte de recherche, que l’on souhaite se constituer une bibliographie en lien avec le social, avec les pratiques, les missions, les politiques, les publics…qui sont les auteurs de ces livres, documents, essais ? Peu de sociaux en fait, voir très très peu ! Les auteurs ? Des sociologues, des ethnosociologiques, des juristes, des économistes, des professionnels de la psychiatrie, des psychos, des militants associatifs oeuvrant pour le «quart-monde »…Tous parlent, écrivent sur un quotidien que nous connaissons. Ils nous invitent à des entretiens pour que nous parlions de nos pratiques, de nos constats…Ils rencontrent les publics en tant que « chercheurs », définissent l’échantillon représentatif, bâtissent l’hypothèse, proposent des réponses…Pourquoi sommes nous absents ou quasiment absents dans ce domaine propre à la production écrite, à la recherche, à l’exportation théorisée des pratiques ? Pourquoi est-ce 9 fois sur 10 un « autre », non « social », qui réalise cette démarche ? De même, si l’on regarde le « profil » des porteurs, des leaders nationaux du mouvement de contestation naissant dans le secteur social…
Bien sur, j’ai en réserve quelques réponses, mais je n’en ferai pas part ici, maintenant…J’espère, en agissant ainsi, susciter des commentaires, des compléments et des critiques, des apports et des réflexions…
FRED