Travail social et écriture…

Publié le par riposte2010

 

Récemment une collègue, à qui j’accorde toute ma confiance sur sa capacité critique à mon égard, et sur la sincérité de ses propos, me faisait part de la réflexion suivante après une consultation de notre blog (« Riposte » bien sur !) :

« Tes articles sont intéressants, mais il n’y a que toi qui écrit ! ».

« Intéressant » peut-être…mais quant à être le « seul », je suis le premier à le regretter. Et comme je suis sans doute un indécrottable scribouillard, je ne peux m’empêcher de continuer. Après un minimum de réflexion néanmoins.

Ce rapport à l’écrit entretenu par les « sociaux » m’intéresse en fait depuis longtemps. Certes, ils écrivent, nous écrivons, une multitude de rapports, de notes évènementielles…Elles, ils, remplissent, complètent une foule d’enquêtes, de dossiers administratifs, de protocoles sur papiers…Ces écrits traduisent l’existence de méthodes, de savoir-faire divers et variés. Il y a une maîtrise de l’écrit dans un certain champ du secteur social, celui de la pratique, de la réalisation des actes quotidiens, du rendu à l’institution, à la hiérarchie, aux collègues, aux partenaires. Ces écrits sont des outils de transmission d’un « social » à un « autre » pour « parler » en quelque sorte de situations individuelles, familiales plus ou moins complexes. Il y est question de tout et de rien, de la facture EDF non réglée à la relation incestueuse. Du simple « accident » de la vie à la trame d’un drame familial. Les sociaux sont porteurs de tous cela, et ils l’écrivent avec leurs consciences professionnelles, et leur part d’humanité. Toujours le « nez dans le guidon ». Premiers témoins, premiers acteurs, d’un monde désigné essentiellement par son absence de revenu, celui des pauvres et précaires. Il y a sous leurs yeux matière à écrire, à étudier, à analyser, à extraire, à remettre en cause, à proposer, à dénoncer, à approuver, à rechercher l’hypothèse, l’objet « intellectualisé », à exporter politiquement…Alors il n’y aurait rien d’étonnant à trouver matière « littéraire » sur les pratiques professionnelles, sur le monde du « social » tout court, celui qui nous parle aussi bien des acteurs « sociaux » et du public concerné parce que désigné comme étant  « l’usager ». Il serait logique, naturel, que ces écrits soient l’œuvre de ces professionnels, tout à la fois sur le terrain et dans la démarche politique (comprendre ici comme acteur de la cité, au bénéfice de la cité). Cela est  réaliste car, il faut le rappeler sans doute, ces « sociaux » ont une valeur théorique, un bagage certains en guise de formation. Ils, elles, doivent tous, toutes, produirent un mémoire, un dossier…fruit d’un parcours de plusieurs années en école.

 Mais la réalité est tout autre. Dès lors que l’on fait acte de recherche, que l’on souhaite se constituer une bibliographie en lien avec le social, avec les pratiques, les missions, les politiques, les publics…qui sont les auteurs de ces livres, documents, essais ? Peu de sociaux en fait, voir très très peu ! Les auteurs ? Des sociologues, des ethnosociologiques, des juristes, des économistes, des professionnels de la psychiatrie, des psychos, des militants associatifs oeuvrant pour le «quart-monde »…Tous parlent, écrivent sur un quotidien que nous connaissons. Ils nous invitent à des entretiens pour que nous parlions de nos pratiques, de nos constats…Ils rencontrent les publics en tant que « chercheurs », définissent l’échantillon représentatif, bâtissent l’hypothèse, proposent des réponses…Pourquoi sommes nous absents ou quasiment absents dans ce domaine propre à la production écrite, à la recherche, à l’exportation théorisée des pratiques ? Pourquoi est-ce 9 fois sur 10 un « autre », non « social », qui réalise cette démarche ? De même, si l’on regarde le « profil » des porteurs, des leaders nationaux du mouvement de contestation naissant dans le secteur social…

Bien sur, j’ai en réserve quelques réponses, mais je n’en ferai pas part ici, maintenant…J’espère, en agissant ainsi, susciter des commentaires, des compléments et des critiques, des apports et des réflexions…

 

FRED 

  

 

 

Publié dans Tribune libre

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F
<br /> Je me permets, par ailleurs de mettre un lien vers un site intéressant qui n'a rien à voir avec le social, mais dont l'édito devrait faire écho à la réflexion sur l'écriture et surtout au combat<br /> qui est le notre. Notamment par rapport à la place de l’écriture.<br /> <br /> Cordialement,<br /> <br /> Frédéric.<br /> <br /> www.piecesetmaindoeuvre.com<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Bonjour Fred !!<br /> <br /> Tout à fait d'accord avec ton propos. Comme l'a écrit Rouzel, on a un savoir qu'on devrait faire savoir. Psychologues, sociologues,etc., parlent de ce que l'on fait, mais nous très rarement. Il<br /> existe des bouquins écrits par des éducateurs, mais ils sont rares. Dans ma pratique, c'est aussi un combat que j'essaye de mener, écrire pour transmettre ce qui se passe derrière nos murs.<br /> <br /> Journal de bord du quotidien. Réflexion sur les conditions de travail, etc. L'écrit comme support à la reconnaissance de nos métiers, plutôt que vouloir accéder à un Bac+3 qui, de mon point de vue,<br /> ne changera rien à la donne (ce n'est pas tendance, mais c'est la mienne).<br /> <br /> En revanche, contrairement au commentaire précédent, je ne pense pas que nous soyons des experts. Nous avons un savoir, mais l'expertise est un mythe, personne n'est expert de rien.<br /> <br /> Frédéric (éducateur spécialisé en pédopsychiatrie en région parisienne)<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Fred, nous sommes des travailleurs sociaux "bien élevés" : dans l'idée qu'avant de causer, on lève le doigt, qu'avant de donner son avis, on s'assure qu'on est le mieux placé pour le faire,<br /> qu'avant de formuler une pensée on règle les aspects pratiques de notre taf (statistiques, rapports d'activités, dossiers en cours...), qu'avant de signer un truc, on vérifie que notre engagement<br /> personnel ne va pas nuire à l'institution pour laquelle on travaille... fred, on nous a élevé dans l'idée de fermer notre g......<br /> Riposte nous apprend que NOUS sommes des experts et que ce n'est pas prétentieux de le penser,<br /> Riposte exerce un contre-poids nouveau à notre éducation de coincés,<br /> Riposte nous dit: "ouvrons-là".... et Fred rajoute " et mettons tout ça par écrit!"<br /> pour tout ça, je dis "OUIIIIIIIII" (et même, je l'écris!)<br /> <br /> <br />
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