Intervention de Michel Chauvière selon nos notes

Publié le par riposte2010

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Intervention de Michel Chauvière,

Sociologue et directeur de recherche au centre national de recherche scientifique.

 

  • Ne pas confondre compétence qui renvoie à l'individu, à un marché des compétences et qualification qui renvoie au collectif, aux statuts de la fonction publique, aux conventions collectives.

 

  • Les états généraux du social en octobre 2004 ont fait suite aux élections de 2002 avec le FN au second tour. Cette semaine des états généraux a permis le dépôt d’un cahier de doléances comprenant tant des diagnostics, que des critiques et des propositions dans plusieurs domaines. Cette semaine a permis de démontrer que les professionnels pouvaient se mobiliser au delà des travailleurs sociaux (en plus des penseurs, des magistrats, des hauts fonctionnaires…)

 

  • Cette convergence a donné naissance à plusieurs mouvements : 7-8-9 Radio sociale, Oasis, et à un livre (L’Appel des appels).

  • Le dernier mouvement à mettre en relation les uns et les autres MP4 : mouvement pour une parole politique des professionnels du champ social. Deux groupes se sont constitués dont un par rapport à la Directive européenne sur les services, concernant les services sociaux d’intérêt général (SSIG). Il est nécessaire d’argumenter une position sur la nature du social ; le social doit être fondé hors du champ économique, et ce par définition, de manière irréfutable.

 

  • M.Chauvière, en lien avec les autres mouvements propose de faire du mois d’octobre 2011, le mois du social dans toute la France (7 ans après 2004). Toutes les initiatives qui se dérouleront peuvent se fédérer.

«  Un million de travailleurs sociaux, qui s’en soucie ? »est le titre pressenti pour mobiliser autour de cette action.

 

Les professionnels de terrain sont les témoins privilégiés de la situation du pays, ils sont légitimes et utiles pour partager leurs savoirs avec les décideurs. Cette idée renvoie à la question politique d’écouter ou non la parole du travail social, dans un contexte défavorable où il est contre indiqué de s’en soucier. Les travailleurs sociaux sont par conséquents compétents mais considérés comme illégitimes à la différence des élus.

Pourtant, le travail social contribue à la richesse nationale, à l’état général de la nation. Il faut que les travailleurs sociaux sortent de la logique d’auto-culpabilisation. Leur travail. Il est nécessaire de combattre les procès en incompétence et en maltraitance. Il fautrelever la tête afin de faire valoir la dignité du travail social. Peut être que Riposte, de manière libre, a toute sa place dans ce mouvement.

 

  • L’Appel des Appels : ce sont 19 collectifs locaux en France souhaitant trouver des convergences et mutualiser les analyses. Cette transversalité de professionnels pour défendre les métiers de l’humain, les métiers de la parole (travailleurs sociaux, psychiatres, magistrats, professeurs, journalistes…) est primordiale. Ces métiers ne sont pas une marchandise. La question de la société doit être pensée en dehors de la question du marché. C’est d’abord la chose publique, la voie à la démocratie. Il est nécessaire de repositionner le social parmi les autres champs, sans monopole.

 

MP4 et l’Appel des appels sont des mouvements non organisés en structure juridique. Se pose alors pour eux la question de leur persistance face aux logiques administratives.

 

Il faut défendre les métiers du social dans la dimension anthropologique. Ce métier est fait pour exprimer le rapport à l’autre. Le profit dans le social est symbolique, éthique.

 

 

 

 

Qu’est-ce que le social ?

 

Ce n'est pas une valeur en tant que telle : le débat sur les valeurs est perdu d'avance. A l’inverse, « le social est un sport de combat » selon Bourdieu. Le social c’est du rapport social. Ce n'est pas un produit : il se travaille, se gagne, se perd, avance, recule.

 

Les changements de mode de production amènent à des changements des rapports sociaux. Aujourd'hui, l'informatique en est un exemple. Les forces politiques qui accompagnent cette transformation sont actuellement néolibérales, d’où une importante vague de rationalisation, avec la réduction des dépenses publiques et celle de la masse salariale.

Ces forces politiques ne veulent pas savoir les conséquences sur le terrain pour les exclus.

N’oublions pas le « travail gratuit des travailleurs sociaux » qui va dans le sens inverse des référentiels. C’est l’éthique du métier, de la relation à l’autre et à la société, « l’amour du métier » quidémontre l’utilité non marchande du travail social.

 

Le social c’est de la lutte. Il est très difficile à comprendre, il est complexe : le nombre d'acteurs importants, de professionnels variés, des structures, des situations, des élus, des associations, des fondations, des institutions, des représentants d’usagers ( ANAPEI, Acte Up…).

 

Le poids de l'histoire est très important. Les nouveaux pouvoirs voudraient faire table rase de tout cela. La lutte est donc politique : exemple avec la politique de l'Enfance où le magistrat devrait encore être le garant des libertés publiques et non pas le Président du Conseil Général.

 

L’ordonnance de 45 décidant de qui doit s’occuper des délinquants juvéniles. L’esprit était que c’était à la justice et non au ministère de l’intérieur de s’en charger. Cela est terminé depuis les années 2000 (exemple loi de 2007)

 

L’usager est manipulé depuis la loi de 2002 dans laquelle on ne le définit pas. On suppose sans savoir, on parle à la place de celui-ci.

Dans celle-ci, on ne parle pas de travailsocial ni des travailleurs sociaux.

 

Sous prétexte de faire des économies, les racines de nos métiers sont cassées.

 

L’idée que nous n’avons plus les moyens de notre politique sociale est fausse. C’est un problème de choix politique qui actuellement est pleinement néolibéral. Nous sommes au 5ème rang au niveau mondial en termes de PIB.

 

La force du néolibéral est partout en Europe. Elle débute en France avec Raymond Barre (ministre en 1975) qui arrive après René Lenoir (reconnu pour une certaine forme d’action sociale).

Raymond Barre c'est la généralisation de la gestion en flux tendus pour gérer les stocks et plus particulièrement les fonds publics.

En 1981, la France est à contretemps (Président de la république socialiste à la différence des autres pays), « erreur de casting » ? ; illusion collective ?

Mme Questiot alors ministre a laissé un texte de doctrine du travail social  (le dernier) où elle parle des trois légitimités en travail social que sont l'usager, le ou les financeurs, les professionnels.

A partir de 1983 et en 1986, des initiatives, dont la décentralisation, vont peser énormément sur nos missions.

La région devient collectivité territoriale au même titre que le département, mais quelles compétences leurs sont données ?

La question ne viendra que dans un deuxième temps. Elle conditionne pourtantles conditions d’exercice de nos métiers.

 

Cette époque est marquée par des clivages au sein de la direction générale des affaires sociales pour la Protection de l'Enfance par exemple.

Un déplacement de l'objet « Enfant à protéger » s’effectue, pour devenir « famille à aider ». L’Aide Sociale à l’Enfance devient une compétence comme les autres.

Les collectivités locales sont devenues des services déconcentrés de l'État sans définir une politique commune.

 

 

Le modèle français  voudrait imposer comme solution actuelle pour le social un vaste système de prestation.

Mais quand il n'y a plus de moyens qu’advient-il des prestations? Et que faire des professionnels ? 

Ces questions entraînent un débat, un choc des légitimités entre professionnels et élus. Au final, les professionnels deviennent les instruments des élus.

Ce conflit est pervers et nous, professionnels, avons un devoir d’inventaire par rapport à la décentralisation.

 

 

L’Etat se réforme lui-même à partir de 2000 (loi organique de finance), puis en 2007 avec la réforme générale des politiques publiques ; il remplace peu à peu des services par des agences.

Les gestionnaires ont pris le pouvoir sans se soucier de l’objet : l’humain.

 

Qu’est ce qu’une agence ?

 

C’est une administration sous l’emprise de l’obligation de résultat, qui peut disparaître, être remplacée ou absorbée. Elle supplée l’administration classique.

Le système est en train d’étouffer toutes conceptions libres des métiers en soumettant toutes actions publiques à un référentiel.

 

Les systèmes fonctionnent selon un modèle algorithmique :

 

 

Mission Programme Action

 

L’état est bien évidement présent là où est l’argent public.

La problématique des moyens est transformée en politique des résultats, ce qui entraine des contradictions avec la libre administration.

Cette conception produit, en outre, la mise en place de « machineries », de dispositifs, sans penser le problème de manière global.

Par répercussion, on retrouve, au bout de la chaine, des travailleurs sociaux sans autonomie.

 

Il faut donc retrouver de la force collective et de la hauteur, pour contrer les gestionnaires.

 

Exemple : l’évaluation calquée sur le monde de l’entreprise, qui au final n’a plus rien à voir avec l’objet qu’elle évalue.

 

Le travail social n’est pas une marchandise, c’est du rapport social. La qualité du travail dépend de la qualité du social.

Dans « travail social » il y a aussi travail. Il faut se battre pour ce terme.

Le travail social n’est pas uniquement composé de bons sentiments et de la redistribution, mais il existe également par les luttes.

Les causes sont fréquemment portées, lors de leur élaboration, par des associations militantes, dont les combats nécessitent une construction, notamment de la part des professionnels. (Exemple du handicap)

 

Se pose alors la question du travail salarié, avec un coût pour la société mais qui est une caractéristique du 20ème siècle (exemple avec le passage des « bonnes sœurs aux assistants de service social)

 

Les orientations conservatrices actuelles tendent à renvoyer les gens en difficulté à leurs responsabilités, voir à une prise en charge à leur domicile. De fait, ces conceptions coûtent moins chères. Idem pour les SESSAD ou les autres formes d’interventions à domicile.

 

Ces politiques s’appuient en outre sur des concepts tels que le « Care » : les femmes auraient des dispositions naturelles à s’occuper des autres…

Dans ce contexte les services d’aide à la personne ont tendance à se déconfessionnaliser. Une absence d’exigence de qualification allant à l’encontre des luttes sociales du XXème siècle.

 

Selon cette logique purement financière, pour un travailleur social de niveau 3 ont peut former 3 professionnels de niveau 5. On tend donc progressivement à produire un travail social « lowcost » ( AVS, auxiliaire de vie scolaire…) « on tire tout la monde vers le bas »

Lutter contre demande de la conviction afin de défendre l’idée qu’il est nécessaire de payer un travail selon son juste prix, son utilité.

 

Il faudrait se poser la question d’établir la vraie nature de la richesse d’un pays. Peut-on mesurer le bien être par exemple ? Référence à Patrick VIVERET, philosophe et essayiste altermondialiste «  Qu’est ce que la richesse ? » (Aubier, 1999)

Tel que sont réalisés les budgets aujourd’hui, il n’apparaît qu’une seule forme de richesse.

Il faudrait pourtant réfléchir à une nouvelle structure de ces derniers.

Une première partie concernerait les ressources financières, la deuxième, les autres formes de richesses, libérées des carcans mercantiles.

Si on entre dans cette logique, les travailleurs sociaux sont des créateurs de richesses.

Pourtant le système tend vers un renforcement de la traçabilité de l’argent à l’euro prés.

L’état rétribue donc la performance, en réindexant les salaires sur la productivité et non plus sur les heures travaillées ; ceci interroge les acquis du XXème siècle en termes de salaire garanti et les conséquences par exemple sur les conventions collectives.

Nous pouvons citer ici l’exemple des salariées de Douarnenez : les femmes étaient payées à la sardine conditionnée. Grâce à une lutte syndicale elles ont obtenu d’être payées à l’heure.

On est en train de faire machine arrière avec l’obligation de performance.

La tarification à l’activité va dans le même sens. Elle entraîneune forme de spéculation, d’anticipation, sur les clients qui sont le plus en mesure d’apporter des résultats prédéfinis ; certaines missions, certains publics sont donc privilégiés puisque rentables, et d’autre oubliés, exclus : « les non guérissables, les non performants ».

 

En parallèle, on constate un retour sur le terrain du caritatif pour compenser les désengagements des politiques et donc des professionnels.

Nous ne sommes donc pas très éloignés de « l’Horreur économique » que décrit Viviane Forrester dans son ouvrage. Du fait de cette vision économique du monde, du néolibéralisme à l’état pur, les travailleurs sociaux sont témoins de ces évolutions et devraient les faire remonter.

 

 

 

Comment riposter…

 

Il est possible de faire remonter ces questions, notamment en se fédérant, en se réunissant, afin de défendre nos intérêts, puisque c’est une des libertés que nous détenons encore.

Il est plus que jamais nécessaire de maitriser les mots, et notamment de combattre les mots des gestionnaires qui envahissent le champ du social, dans l’unique but d’assurer leur légitimité.

Il est impératif de se réapproprier les mots de la pratique, et de ne plus délaisser l’analyse de cette dernière.

L’écrit est un outil. Rassembler les réalités par les mots permet d’en être témoin et de faire savoir les constats.

 

Il faut du temps pour l’analyse de pratique sur le temps de travail. L’idéal institutionnel est déconstruit pour aller vers une gestion d’entreprise (comme chez pizza hut !!). Trop d’institutions délaissent les réunions, les échanges des professionnels, par manque de temps alors que l’enjeu est central. Les temps de permanence s’enchainent, et bien souvent une personne en remplace une autre, comme si l’institution se réduisait à un service substituable.

 

Pourtant retravailler sur les mots, sur les concepts, afin de combattre certaines idéologies reste essentiel. Reconstruire une philosophie de l’institution à partir des mots est indispensable.

La « bien traitance » par exemple relève d’une conception purement manichéenne, puisqu’elle s’oppose à la présupposée « mal traitance » exercée par les travailleurs sociaux.

De plus, elle dénigre, et installe un climat de suspicion à l’encontre des professionnels, y compris au travers du regard des personnes pris en charge… Mais comment alors instaurer un lien de confiance ?

 

Les « recommandations de bonnes pratiques » sont une aberration culturelle, que nous pouvons analyser en quatre points afin de les déconstruire.

Au travers de l’autisme par exemple où il y a 4 recommandations :

 

1)-Selon la loi du 2 janvier 2002, il y aurait d’abord les droits des usagers. Une telle affirmation apparaît galvaudée puisqu’elle sous tendrait l’idée qu’il existe d’abord le droit des consommateurs.

Or, l’usager n’est rien, ou plus précisément il peut être n’importe qui. L’usager est avant tout un citoyen.

Nous devrions plutôt affirmer qu’il existe avant tout une obligation collective de solidarité.

 

2)-Il serait opportun de définir l’autisme. Actuellement il est défini via un certains nombres d’Items (cf DSM) par conséquent cette approche ne demande pas nécessairement l’intervention d’un travailleur social.

 

3)-Il serait nécessaire de trouver une solution au « comportement problème » selon une grille d’évaluation, mais pas nécessairement au sens du problème, et donc, laisser la théorie aux « spécialistes ». Or cela n’opère pas analytiquement, cela formate.

 

4)-Enfin il faudrait tout faire selon la « bien traitance » en ayant une « morale publique moderne »

 

 

Attention, pour les institutionnels l’outil d’évaluation est neutre, c’est en ça qu’il est dangereux.

 

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F
<br /> M.Chauviere avance à plusieurs reprises le fait que le travail social est sous influence néolibérale. C'est un fait indéniable. J'ajouterai que l'influence est aussi réactionnaire. Je pense<br /> notamment aux discours sur le "pauvre". C'est le retour, à travers les mots, de la "classe dangereuse", celle des miséreux. Mais revenons à l'aspect néolibéral, ou tout simplement libéral. Depuis<br /> deux décennies nous travaillons avec un outil particulier, le CONTRAT. Celui-ci a trouvé toute sa place dans nos pratiques et dans nos missions. Hier le RMI, aujourd'hui le RSA. Outil également<br /> présent dans les autres types d'interventions, pour certaines appartenant au registre de l'éducatif (AEB, AED...). Pourquoi peut-on considérer que cet outil sort tout droit d'un think tank libéral<br /> ? Pour deux raisons au moins me semble-t-il. La première renvoie aux statuts des deux contractants. D'une part, le parent, la famille, de l'autre une institution. Le rapport de force est loin<br /> d'être égale. D'un côté un usager en difficulté, et souvent pas seulement du côté éducatif (pauvreté, surendettement, maladie...) et de l'autre une institution forte du pouvoir sous toute ses<br /> formes, notamment celle de représenter la norme en vigueur, légitimée par le pouvoir politique en action. Un contrat de dupe. Un contrat léonin. La deuxième raison est plus en lien avec la<br /> philosophie libérale. Chaque individu y est considéré comme responsable de son état. En procédant à l'utilisation du contrat, nous extrayons la personne du champ social, de ses réseaux, du contexte<br /> de sa vie, de son parcours. Ce contrat a pour effet de renvoyer la personne vers une perception découpée de sa réalité. Un peu comme si nous considérions qu'il est seul, sur une île, ex nihilo.<br /> Mais justement, cette personne n'est pas rien, ne part pas de rien, et surtout elle est un élément de la société. Elle y est actrice et victime. Elle pourrait continuer à l'être, comme tout un<br /> chacun. Mais le contrat a pour effet d'isoler l'individu, de couper non pas la responsabilité qu'il aurait vis à vis de son devenir ou du devenir de ses proches, mais de sectionner le lien de<br /> solidarité, de bafouer le contrat social. Ainsi, dans la vision libérale, l'usager est rendu responsable car mis en "quarantaine sociale", sorti du collectif.<br /> <br /> <br />
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